L’histoire du pays tem est à élaborer et ce travail en incombe aux historiens. Pour le moment l’histoire qui en est diffusée est nourrie des « on dit », c’est-à-dire de la tradition orale dont tout le monde sait les faiblesses. Le texte que je vous propose est un « on dit » mais l’envergure de l’auteur, feu DJOBO Boukari, le classe parmi les textes pensés, donc digne d’attention. Il s’agit d’un manuscrit que l’auteur a distribué au début des années 1990 à certains de ses frères tem à Abidjan dont moi-même. Pour l’auteur qui dit avoir recueilli l’histoire auprès d’un « Grand Vieux » il s’agit d’une pièce à verser au débat intellectuel nécessaire à l’élaboration d’une histoire logique et crédible du pays tem. La saisie informatique du manuscrit et la mise en page sont de moi.

NY 30/11/90

Histoire de Tchaoudjo (ou Région de SOKODE)

Récit recueilli de 1942 à 1952 de OURO-DJOBO KPAKPATOUROU Adam (dit « GRAND VIEUX »), Chef du village de Tchaourodé à SOKODE (né vers 1863 et décédé en 1965).

PLAN

Généralités : origine du nom « TCHAOUDJO »

- Nom du village : « TCHA-OURO-DÈ » = village du Chef

a) TCHA-OURO-DJO = près du Chef (en référence aux montagnes de Tchaoudjo). Et par contraction (avec suppression de la syllabe RO dans Tcha-OuRo-DJO => donne TCHAOUDJO.

b) Ou encore, l’autre nom du village = TCHAWA-DA (ou dans TCHAWA) et, en raccourci, le nom du village = donc « TCHAWA » ; et par altération de la prononciation du « WA » en « WOU » => TCHAOU-DJO c’est-à-dire « près » du village TCHAWA.

- Clan Kpandi : Chaque « clan » en pays Kotokoli a ce qu’il est convenu d’appeler « salutation », où tous les individus sont considérés comme vrais frères et sœurs de sang, descendant du même ancêtre et ne pouvant, en aucun cas, se marier entre eux : les Colis, les Tourés Traorés, Kpandis, etc. Le clan « Kpandi », très infime, actuellement et essentiellement basé à Tchawada, comptant peut-être dans la ville de SOKODE environ 3.000 âmes, est originaire de SOKODE-Centre : leur « salutation » a donné le nom à la rivière Kpandi qui coule dans SOKODE et qui est malheureusement maintenant en voie de disparition.

1/ Migrations

Les premiers arrivés dans la région de SOKODE, venant certainement des confins du Niger/Mali, sont les Colis, puis immédiatement après les Kpandis, (et les Solas restés dans la région de la KARA) ; puis longtemps après les Molas ; et très longtemps bien après et continuant même jusqu’à très récemment (c’est-à-dire jusque vers 1905), les Tourés, Traorés, Mêndê, Fafanas (ou Fofanas), etc.

Il est à remarquer que des mouvements/migrations similaires –sinon identiques- se sont produits dans la région de BAFILO jusqu’à la limite du fleuve KARA.

Il est à noter que l’ethnie Kabraise serait déjà sur place, au-delà de la rivière KARA, bien avant l’arrivée des KOTOKOLIS dans les régions de BIFILO et SOKODE.

2/ Historique

a) Etendue des propriétés du village TCHAOURODE :

- Comme le disait le vieux Kpakpatourou, en balayant de la main : d’ici (TCHAWADA) jusqu’aux montagnes d’Alédjo, de Bassari et de FAZAO et jusqu’aux confins de Blitta et d’Agoulou !!! C’est certainement exagéré, mais ça en donne une idée !! de la grande étendue des terres par rapport à la taille minime et insignifiante du village (peut-être environ 600 âmes à l’époque ?) !!

- Marché de KEDJIKA à Sokodé (réf. Jugement du Chef Supérieur Adjoro de PARATAO vers 1944, partageant moitié moitié avec DIDAOURE et géographiquement la collecte villageoise sur le marché des redevances avant que la mairie ne les reprenne en compte vers 1950 ?)

b) Les Molas :

- très nombreux (au moins 7 villages : Paratao, Tchavadé/Koma, Kpagalam, Kadambara, Brini ??, Fazao, Agoulou, etc.)

- Molas sont des chasseurs et cavaliers alors que les Colis et les kpandis sont cultivateurs.

- Molas sont venus dans la région de Sokodé en provenance de leur village d’origine : TABALOU, situé dans les contreforts des montagnes de Bassari ; ils seraient arrivés là venant certainement des régions »Wangara » du Ghana et Mossi du Burkina Faso.

- Les chefs Molas de TABALOU et de Sokodé, les yeux ne doivent pas se croiser, si oui, au retour chez eux, l’un (le plus faible sur le plan « pouvoireux ») meurt !!!

- La devise du Chef de Tabalou est « Ba bidi guê, bigba, dana têdi kangara », ce qui veut dire « quelles que soient les circonstances nous sommes le Centre de la Terre » !

- Donc les Molas sont des Tems mais des Tems de deuxième arrivée.

3/ Arrivée des Molas dans la région de Sokodé. Zone Sokodé

C’est une vérité historique. - Premiers chasseurs Molas arrivent au village Tchawada (la petite forêt en est et demeure le témoin vivant, à Tchawada) et sollicitent un lieu pour faire la chasse ; et l’autre côté de la route Blitta-Lama-Kara (en face de Tchawada) leur est indiqué.

- Cela explique que tous les villages molas sont restés de ce côté-là jusqu’à récemment quand vers 1950, Kpagalam a débordé en traversant la route Sokodé-Lama-Kara.

- De la chasse => plusieurs vagues de Molas arrivent et s’installent dans cette région indiquée.

- Cavaliers et beaucoup plus nombreux, ils supplantent les autres groupes ethniques déjà sur place notamment les Colis, les Tagbabou, Kpandis, Kpari, etc. et se déclarent « Chef Supérieur » (« Ouro-Esso » : « Roi-Dieu ») « Roi Supérieur » avec devise : « O’gorou kpaï, N’gorou » : « Levez-vous, attrapez-le » = droit du Prince, fait du Prince avec droit de vie et de mort sur tout citoyen ou sujet de la région.

4/ Les Kpandis de Tchawa - La prise de facto et la suzeraineté sur toute la région par des Molas a été favorisée par le fait suivant : du fait des raids esclavagistes sur un si petit village (environ 600 âmes), les Kpandis ont dû déménager pour aller se réfugier d’abord chez les oncles maternels (Kpéwa) dans les montagnes et puis après, à Tchaourodè (derrière les montagnes de Tchoudjo).

- Ceci devrait se passer vers 1820 ???

- Finalement, quand on leur a demandé vers 1935 de sortir sur la route principale, à Kolina actuel, Lomé-Dapango, les Kpandis avaient décidé de retourner plutôt chez eux à Tchawa.

5/ Tem et/ou Kotokoli

- Les Temba (ou les Tems) semblent être les originaires primaires (premières vagues des arrivées des confins du Niger, Mali) ; Tem est synonyme de « 8 aïeux », par opposition aux relativement nouvelles vagues d’arrivée qui étaient déjà plus ou moins islamisées (les Tourés, Traorés, Mende (Mandingues), etc.).

- La dénomination « Kotokoli » doit avoir supplanté la dénomination « Tem » devenu quelque peu péjorative.

- Suivant leur arrivée, apparemment les premiers sont les « Tourés » qui assument les fonctions de « Chef » (ou « Malou Ouro »), c’est-à-dire « Malouwa m’ba dê Ouro », c’est-à-dire le Chef des Musulmans. La deuxième vague musulmane est celle des Traorés qui sont Imams c’est-à-dire Chefs religieux musulmans, ou Tourés et Traorés arrivés en même temps mais partagent les fonctions. Si bien que si vous voulez dans le détail, les authentiques « Tems » sont les Colis Kpandis, Kparis, etc. et non les Molas ; ceux-ci étant dans les vagues successives ultérieures qui ont envahi la région : mais après les authentiques Tems, les Molas sont les premiers à arriver dans la région, suivis longtemps après par les Tourés, Mendés Fafanas. Conclusion : aucune différence entre Tems et Kotokolis parce que tous sont arrivés dans la région par vagues successives.

NYC, 6-1-91

6/ Les Molas de Bafilo

Même chose, les véritables Tems sont les Colis, les Wouroumas ??, Louwos … (réf Bafilo, Kpewa, Alidjo, Koumondé). Les Molas sont l’autre branche également partie de Tabalo pour la région de Bafilo et où, en tant que cavaliers/chasseurs et en plus grand nombre, se sont imposés sur les originaires et se rendre titulaires de « chefferie ».

7/Origine de l’entendement du mot « Ouro-Djobo » en tant que synonyme de « Roi suprême » (ou Chef Supérieur)

Les chefs du village de Tchawa (ou ceux qui dès l’enfance, les parents les destinent à devenir chef de village prenaient le nom de Djobo et quand ils devenaient effectivement chef on ajoutait le mot Ouro qui veut dire chef. D’où Ouro-Djobo équivaut à Chef Djobo.

Comme l’étendue des terres du village était tellement vaste (même infinies pour eux), le mot Ouro-Djobo impliquait une signification de « Grand chef », de Chef Supérieur couvrant une très grande étendue de terre.

Les Molas ne pouvant se marier entre eux, étant du même groupe ethnique (NB : en pays kotokoli, les gens du même clan sont considérés comme vrais frères et sœurs, parce que descendant du même ancêtre donc de même sang) ; et dans l’antiquité s’ils couchaient ensemble, ils étaient ligotés ensemble et noyés vivants dans leur rivière considérée comme de leur origine !!!). Donc les Molas se sont fondus aux locaux et ont emprunté et fait leur titre de chefferie supérieure le Ouro-Djobo avec entendement de Ouro-Esso c’est-à-dire « Roi-Dieu », Chef Suprême.

8/ Quand les Molas copient Tchawa

A Tchawa, quatre grandes familles règnent à tour de rôle (ce n’est pas automatique) ; en d’autres termes, ce n’est pas une dynastie qui est héréditaire directe. Les Molas ont également emprunté ou confirmé ce système ; ce qui fait que dans les villages molas on règne à tour de rôle (pas automatique).

A Tchawa, tous les originaires du village sont des princes et peuvent devenir chef de village, à l’exception des descendants d’esclaves et des ressortissants des autres villages résidant dans le village. Ce système existait-il chez les Molas à Tabalou ? Je ne sais pas mais est-il que le système a été également confirmé ou adopté par les Molas. Si bien qu’en pays Kotokoli pratiquement tout le monde est prince (donc susceptible de devenir chef) une fois retourné dans on village d’origine, et toutefois s’il n’est pas descendant d’esclave.

9/ Les Solas

Une branche kotokoli des premières migrations, bien avant les Tourés, Traorés, Mendê, Fafana, est restée en pays Kabrais dans la région de Kara et installée pendant que le gros de la migration continuait sur les régions de Bafilo et Sokodé.

10/ Kotokoli à Bassari et à Kabou

Guerre des Bassars contre les Konkonbas. Assistance d’environs 200 cavaliers. Kotokolis demeurés sur place (ex Dikeni de Kolina à 17 km de Sokodé).

11/ Propriété des terres

- Toutes les terres de la région de Tchaoudjo étaient censées originellement appartenir au village Tchawa (de part et d’autre de la route Atakpmé-Lama-Kara : environ Blitta-Montagnes, Fazao-Montagnes, Bassari-Montagnes, Alédjo-Kpéwa et Agoulou vers le Dahomey).

- Puis, à l’arrivée des Molas, toute la partie droite de la route Atakpamé-Lama-Kara leur est attribuée pour la chasse ; pour après la considérer de facto, comme leur propriété, étant en nombre et en force.

- Et récemment, à partir de 1970, considérer l’ensemble des terres comme leur propriété, en réunissant quelques chefs (dont la plupart sont des Molas ou alliés) pour leur faire signer que toutes les terres appartenaient aux Molas !!

- Il s’agit là d’une autre vérité historique et une politique de « la loi du plus fort » ou, plus exactement, « du plus nombreux ». - 12/ Propriété réelle juridique des terres

En réalité, les terres appartiennent à tout le village qui a seulement droit de jouissance effective, collectivement ou individuellement.

- La terre ne peut être vendue.

- Personne ou groupe d’individus n’a le droit de se l’approprier individuellement et juridiquement (c’est-à-dire le faire enregistrer en leur nom).

Toutefois, à l’intérieur du village, il y a le noyau des vrais propriétaires originels des terres (ainsi à Tchawa, les quatre familles pouvant régner), qui reçoivent une petite portion (le plus souvent symbolique) comme tribut suite aux cueillettes effectuées dans les rivières (par exemple) de régimes de palmiers à huile, etc. Mais tout ça c’est du passé. Cela a eu cours jusque vers 1950. Depuis !!!

13/ Conclusion

1) Aucune différence entre Tems et Kotokolis ; tous sont des Kotokolis arrivés dans la région Sokodé/Bafilo par vagues successives, plus ou moins anciennes, mais fondus dans la même communauté de fraternité réelle. Toute manœuvre tendant à différencier artificiellement Tems de Kotokolis est une tentative de « diviser pour régner » contre les Kotokolis qui doivent prendre conscience et lutter farouchement contre.

2) La propriété juridique des terres ne doit pas être cause de dissensions graves entre Kotokolis. Il y a assez de terres et une formule appropriée des revenus de vente de certains terrains peut être aisément trouvée.

14// Remarque générale ou NB

Enfin, ceci est grosso-modo, le récit recueilli sporadiquement de mon grand-père de 1942 à 1952, que nous appelons familièrement le « Grand Vieux » (environ 1863-1965) « Ouro-Djobo Kpakpatourou Adam », chef du village de Tchaourodé.

Il a dû faire la part belle à son village, ce qui est humainement compréhensible. Mais, il faut reconnaître que la plupart des faits rapportés, sont exacts et leur véracité peut être vérifiée et confirmée aisément chez les gens et surtout chez les vieux, notamment à Sokodé, Paratao, Kadambara, Tabalou, etc.

Je souhaite vivement que d’autres frères et amis, surtout les historiens, puissent se pencher sur l’histoire de la région, et, en tant que profane, je serais heureux si ceci pouvait s’inscrire, un tant soit peu, dans le cadre de leur recherche.

Djobo BOUKARI Abou OURO-DJOBO NYC 26/1/91

Notes additives 1/ Important Plan à développer (dicter à une secrétaire sténo ??) dès que possible Djobo 28/1/91

2/ 28/1/91 En Bassari TCHA-TCHE = SOKODE => TCHA-DJO ou TCHAOUDJO (Réf. A(bdou) D(ermane) TRAORE, SG)

- Koumonidé : Louwo

- Kpéwa : Wourouma

- Alidjo : Loua, + Molas régnants - Wangara = Bambaras

- Dagbama = Dagombas